mardi 28 février 2017

Le bal des folles

Mardi Gras à la Salpêtrière

Bal à la Salpêtrière, J. Belon, 1890


Le 19 mars 1887, comme chaque Mardi Gras de ces années là -la grande époque de Charcot- avait lieu à la Salpêtrière, à huit heures précises, le Bal des Folles. Ainsi surnommé et connu des Parisiens, c'était le bal traditionnel donné tous les ans par l'assistance publique à une partie de ses malades. Mieux qu'un bal, d'ailleurs, l'administration hospitalière en organisait deux: « le bal des idiotes et des épileptiques – dit bal mineur et le bal des hystériques, des folles et des maniaques –dit bal majeur », écrit Gabriela Zapolska qui y assiste.
En effet, note le reporter du Petit Parisien:

« Si nous ajoutons au plaisir de la danse, plaisir féminin par excellence, l'influence bienfaisante de la musique qui détend les nerfs et calme si bien la mélancolie, n'est-on pas autorisé à penser et à dire que l'Administration hospitalière, en agissant ainsi, agit sagement ? » Mieux qu'un bal, qu'une simple oeuvre de bienfaisance, c'est un acte thérapeutique majeur.

Dans les grands salons de la Salpêtrière décorés de plantes vertes et de fleurs, les aliénées, déguisées en marquises, en bayadères, en paysannes ou mousquetaires, valsent avec les invités, curieux du Tout-Paris qui s'arrachent les invitations à ce carnaval unique. Pour elles aussi, évidemment, c'est un événement. Elles s'y préparent plusieurs mois à l'avancent, je les imagine passant des heures, des jours, un temps infini, à coudre et peaufiner les détails de leur costume, jusqu'au grand jour.
Gabriela Zapolska décrit:

"Sur le seuil, se tient Clétienne, une hystérique. C’est elle la plus célèbre. Elle est déguisée en femme turque. Elle glisse à travers la foule avec un air de reine, en faisant traîner ses souliers rouges que des jambes, elles-mêmes recouvertes de bas rouges en tricot, parviennent tout juste à retenir. La foule lui cède la place, tandis que tous murmurent : «Clétienne»… Elle sourit gracieusement, présentant un pâme visage, où des cernes lui font des lunettes d’un vilain bleu, qui lui couvrent la moitié des joues.
"A côté d’elle, vêtue d’une robe noire constellée d’étoiles dorées, le cou ridé et une petite tête de girafe, Habillon tourne, salue et sourit. Elle souffre d’un dédoublement de la personnalité. Tous les cinq ans, cette malade se prend pour quelqu’un d’autre. Actuellement, c’est une personne très aimable : déjà, à la porte d’entrée, elle m’a donné la main et m’a souri avec gentillesse... »


Il y a de quoi s'étonner mais certaines de ces femmes sont bel et bien des célébrités. Ce sont les « égéries » de Charcot, ses patientes favorites, parfaitement rodées à l'hypnose et ses trucs, capables d'exécuter sur simple demande la figure la plus complexe de la Grande Crise Hystérique.
« Ces quatre ou cinq femmes, raconte le reporter du Petit Parisien, sont là souriantes, pleines de force et de jeunesse, causant avec tous, ne manquant pas une danse qu'elles exécutent d'ailleurs d'une manière irréprochable. Elles forment, au milieu de toutes leurs compagnes, une sorte d'aristocratie, une sorte de caste supérieure que les autres acceptent volontiers. Elles se font un titre de gloire d'être les sujets et les malades du maître , et elles proclament volontiers et avec emphase qu'elles sont du service de Charcot. » Toutes les soirées ont leurs reines...
Mais pour qu'un Bal à la Salpêtrière soit parfaitement réussi il faut prendre quelques précautions... Champagne et vins sont par exemples interdits aux aliénées et des surveillantes, des gardiens sont postés aux quatre coins de la salle pour prévenir le moindre incident. Mais, plus surprenant, les cuivres sont bannis de l'orchestre. Oui, les cuivres, ou les cymbales, sur ce point précis les versions diffèrent. Une chose est sûre: une année que l'on avait négligé de les retirer de l'orchestre, certaines des hystériques présentes étaient tombées en catalepsie au son de l'instrument. Sorcellerie? Non, les hystériques que Charcot avait conditionnées, habituées à être plongées sous hypnose au son du gong, étaient ensuite capables, condamnées plutôt, à répéter la manoeuvre à volonté.


« Quand on se rappelle que dans le même Hospice de la Salpêtrière où l'on dansait si joyeusement hier, les pauvres folles étaient encore, il n'y a pas quatre-vingt ans, enfermées à demi-nues, le corps chargé de chaînes et de carcans, dans des loges souterraines où « elles avaient souvent les pieds rongés par les rats » ou gelées « par le froid des hivers », on songe non sans fierté au chemin parcouru, et l'on se dit que ni la science, ni la philanthropie, ni le progrès ne sont de vains mots. » Le petit Parisien 19 03 1887


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