dimanche 13 novembre 2016

Du rock dans le strip

Nicolas Moog et sa compilation de Faces B.

Porter le nom d'un synthé vintage culte prédispose-t-il au rock? A lire les bandes dessinées de Nicolas Moog il semblerait que oui.
Moog a mis du rock dans sa guitare à trois cordes (Thee Verduns, duo country-rock) et dans ses bédés.
Car il est d'abord illustrateur et auteur de bandes dessinées, en solo donc mais en duo aussi avec Matthias Lehmann (Qu’importe la mitraille) ou Arnaud le Gouefflec (Face B).
Du rock et des bédés, le rêve de tout ado... et une longue tradition. Depuis Crumb et les bluesmen, Shelton et les hippies ou Métal Hurlant et les punks il y a du rock dans les strips. Moog, lui, serait plutôt dans la catégorie Crumb, genre dénicheur de vieilles galettes et de musiciens underground, un Alan Lomax reporter.

Dans le bel album composé avec Arnaud le Gouefflec, Face B, Moog dresse une compilation de grands outsiders du rock, une galerie des Figures pittoresques de la musique du XXème. Génies marginaux, radicaux, gentiment illuminés ou notoirement dérangés, enragé et mythiques.
C'est érudit et c'est émouvant. Textes et dessins sont fouillés, détaillés jusque dans les pochettes de vinyles rares ou les jaquettes de cassettes underground collectors.
C'est tragique et c'est croustillant. On y croise Moondog, découvrant le tambour arapaho à cinq ans, sur les genoux d'un chef indien; Daniel Johnston enregistrant des cassettes sur un clavier de poche posé sur le banc de musculation de son frère; Sun Ra jouant pour les pyramides ou Captain Beefheart pour les serpents du désert.



C’est une œuvre de mémoire, un témoignage essentiel en même temps qu’une évocation, une invocation de bons ou mauvais génies, parfois encore vivants, le plus souvent morts ; la démonstration qu’avec un nom de synthé vintage on peut aussi écrire l’Histoire.


dimanche 6 novembre 2016

Frida Kahlo à la Fête des morts et autres shamans rock n' roll

Marie Meïer, artiste gothique flamboyante.



Donde hay amor hay vida, La Catrina Frida


Halloween, la Toussaint, la Santa Muerte sont passées… C’est vrai, mais on a un peu trop tendance à oublier qu’il existe une partie de la population pour qui Halloween est une fête de tous les jours : j’ai nommé, les gothiques.

Comme tout le monde le sait, les gothiques s’habillent en noir, craignent la lumière, dorment dans des cercueils capitonnés (on tient à son petit confort) et ont des chauves-souris pour animaux de compagnie. Certain/e/s font de la musique, d’autres jouent aux vamps… Marie Meïer, elle, peint, dessine, grave, fabrique des objets, des bijoux…

La Santissima muerte


On la compare parfois à Frida Kahlo et ce n'est pas faux, si ce n'est qu'elle ne peint pas d'autoportraits. Frida est un de ses principaux modèles mais elle s’inspire en général de l’art mexicain et de ces artistes aux toiles foisonnantes de figures, détails, symboles. Végétation luxuriante, bestiaire allégorique, sacrés-cœurs et bien sûr folklore de la Santa Muerte, ses calaveras et têtes de mort en tous genres.  Marie Meier est une gothique qui ne craint pas d’utiliser la couleur, beaucoup de couleurs, ni de mélanger les styles.

Son univers va du burlesque au cinéma de Tim Burton en passant par le tatouage, les contes et légendes… Son travail est bourré de références mais sa grande force et son originalité viennent, pour moi, de la fusion du rock et de l’ésotérisme.  Fusion, au sens alchimique du terme, accomplie en particulier dans ses différentes séries de tarot. Car Marie Meïer est aussi tireuse de cartes, diseuses de bonne aventure (c’est elle qui le dit) et grande invocatrice, prêtresse (c’est moi qui le dis) des mystères du rock. Ses toiles, ses illustrations et ses bois sombres,  quand ce ne sont pas les lames d’un tarot, sont autant d’ex-votos, offrandes et actions de grâce.

Jim Morrison, le shaman

Dans son panthéon figurent en bonne place Janis, Jimi, Jim, Kurt et Amy, le Club des 27,  mais les artistes ou figures historiques qu’elle choisit pour illustrer son  tarot des Amazones   ou son Tarock ne sont pas « juste » des icônes de la musique ou de l’art en général. Ce sont des idoles, dans le premier sens du terme, des quasi-divinités, les figures mythologiques d’un culte païen, capables d’incarner les arcanes et de révéler les destinées.

La Main de la Destinée, Tarot des Amazones (tirage limité)


Voici ce qu’elle écrit sur son blog

« Quelqu'un qu'on a écouté, vu sur scéne, ou au cinéma ( j'avais frémis quand Harrison Ford avait failli se crasher ), quelqu'un qui nous a accompagné parfois pendant de longues années, qui parfois de manière indirecte nous a sauvé la vie ou au moins l'a rendu moins pesante, le temps d'une chanson, d'un album, d'un concert, d'une piéce, d'un livre, c'est une personne qui a presque des pouvoirs magiques. Ce sont presque des shamans, des medecine (wo)men. »
C'est ce qu'elle est, elle aussi.

(Marie Meïer vend ses travaux et ceux de Liliome avec qui elle forme le Duo Désordre sur son shop en ligne.)


jeudi 3 novembre 2016

Etranges manies des nymphes

Fantasmes de Baudelaire au Musée de la vie romantique.


Sur cette toile pudiquement nommée « Nymphe couchée » on peut douter que la nymphe en question soit simplement allongée pour une petite sieste au bord de l’eau…
Etranges manies des nymphes.
 « Vous est-il arrivé, comme à moi, de tomber dans de grandes mélancolies, après avoir passé de longues heures à feuilleter des estampes libertines ? (…) Soit dans les interminables soirées d’hiver au coin du feu, soit dans les lourds loisirs de la canicule, au coin des boutiques de vitrier, la vue de ces dessins m’a mis sur des pentes de rêverie immenses, à peu près comme un livre obscène nous précipite vers les océans mystiques du bleu. » (Des sujets amoureux et de M. Tassaert, Salon de 1846).
Il n’y a que Baudelaire pour employer dans la même phrase les mots « obscène » et « mystique » sans que ce soit ridicule. Charles avait une bonne plume, il avait aussi l’œil et c’est justement à lui que le Musée de la vie romantique consacre en ce moment une exposition, "L'oeil de Baudelaire" donc.
On sait bien que Charles aimait la peinture de Delacroix (qui, lui en revanche, ne comprenait pas grand-chose à sa poésie), mais d’autres peintres parmi ses contemporains eurent droit à des louanges. Parmi eux Octave Tassaert.
Qualifié par un critique peu charitable de « peintre rabat-joie », ce peintre connu davantage pour sa « Famille malheureuse » ou sa « Pauvre enfant » n’avait pourtant rien contre ce qu’il appelait « le folichon », ce que Baudelaire -plus sérieux- nommait « les sujets amoureux ».

Manet, La nymphe surprise

Comparée à un tableau du même genre et de la même époque, peint par Manet, « La nymphe surprise », la toile de Tassaert l’emporte haut la main. La nymphe de Manet n’est pas si surprise qu’elle n’ait eu le temps de cacher ses attributs aux yeux du promeneur indélicat.
La nymphe de Tassaert, et c’est ce qui rend la scène si obscène et si belle (non, je ne dirais pas mystique, pour cette fois…), est seule et, dans tous les sens du terme, abandonnée.
 A en croire des siècles de littérature et de peinture, les jeunes femmes, les jeunes déesses même, que sont les nymphes ont le chic pour s’attirer des ennuis. Des satyres en l’occurrence, qui passent une bonne partie de leur temps à les poursuivre de leurs assauts. Mais, et c’est peut-être unique dans toute l’histoire de l’art, ici la nymphe est seule et c’est le spectateur qui se retrouve en position de satyre… Tout le plaisir voyeuriste que procure cette toile est dans la tension entre le visible et le caché : la jolie nymphe se croit bien cachée, invisible, mais ne l’est pas ; ses mains et l’endroit -quelque part entre les cuisses- où elles se perdent, sont dérobées aux regards mais ses yeux et son expression égarée, en quête active de plaisir, la trahissent…
Baudelaire ne s’était pas trompé, Tassaert était un bon peintre et un bon graveur, qui savait aussi représenter des femmes vraiment endormies.

Octave Tassaert, La femme endormie

mardi 1 novembre 2016

La mélancolie du surfeur


Brian Wilson, le fantôme des Sixties, Salle Pleyel.


Il ne s'agit pas ici de Brice de Nice, ni même de surf, mais d'un Garçon de plage nommé Brian Wilson qui réapparaît après des années dans le creux de la vague, tel un fantôme des sixties.
Dans l’histoire du Rock, Pet Sounds est un monument ; pour moi, depuis mes 13 ans, c’est le disque de Noël, que j’écoute religieusement, chaque année, au moment des fêtes. Il appartient à ma mémoire familiale, il fait partie de la famille. Sonnez hautbois, résonnez musettes, les chœurs angéliques, les cloches et les grelots…  Les Bruits d'animaux c'est le traineau de Santa Claus qui passe au-dessus de chez moi. 




Cela fait longtemps que je ne crois plus au Père Noël mais, dans mon inconscient, Brian Wilson a pris sa place et grâce à lui la magie opère toujours : chaque fois que j’écoute Pet Sounds, je retourne en enfance, je redeviens le môme assis au pied du sapin, rêvant des romances adolescentes tandis que tourne en boucle le disque le plus beau et le plus triste des Beach Boys. 

Pet Sounds fête cette année ses 50 ans et Brian Wilson en compte 74 dont une bonne vingtaine d’années, celles qui ont suivi l’enregistrement de son chef d’œuvre, n’ont pas été faciles. Entre la drogue, les dépressions, les médicaments, la folie, Brian aurait pu y rester, comme Syd Barrett, Presley, Jackson, Prince… Mais il s’en est sorti et reste un des derniers vétérans de l’âge d’or des sixties.
Brian Wilson a vieilli, et je ne peux pas lui en vouloir. 
Quand il monte sur la scène de la Salle Pleyel, sa démarche n’est pas très assurée, sa voix pas toujours, non plus, lorsqu’il chante avec un œil sur le prompteur, et ses mains restent souvent posées sur le clavier; parfois même on se demande s’il est vraiment là, s’il est vraiment conscient du monde qui l’entoure ou s’il ne va pas tout d’un coup se lever, s'enfuir ou faire un truc insensé. Il en a fait… Des crises de délire, paranoîa ou panique… Mais pas cette fois. Il reste assis à son piano, présent/absent, chante, annonce les morceaux, il fait le job mais sans s'attarder aux applaudissements, semblant même fuir les ovations lorsqu'il s'agit de quitter la scène entre deux sets, il laisse les musiciens qui l’accompagnent -dont un autre rescapé des Garçons de Plage- faire le show, à l’américaine, au cordeau.
Le soir du 30 Octobre, Salle Pleyel, Brian Wilson et son groupe jouent un best-of des Beach Boys, et c'est déjà très bien. Mais ils jouent ensuite Pet Sounds, et ça devient mystique. 
Rappelons quand même qu'au départ les Beach Boys sont un groupe de rock n' roll, voire de doo-wop, qui chante à tue-tête des refrains basiques sur le surf et les jolies filles. Oui, mais ça c'était avant. Brian, resté seul pendant que ses copains étaient en tournée, compose Pet Sounds en 66 et même les Beatles ne s'en sont pas remis. A l'écoute du disque, ces Bruits d'animaux sont un joyau d'une pureté totale, mais de l'entendre et de le voir jouer en live, lui fait encore gagner en puissance et en lisibilité, la richesse, la cohérence et le luxe extrême de cette fabuleuse pièce montée apparait plus clairement. Chaque pièce, chansons comme instrumentaux, est un bijou et parmi toutes ces perles, une brille encore plus fort que les autres.
Les Beach Boys le savent, les spectateurs le savent, tout le monde le sait, le coeur palpitant du chef d'oeuvre est God only knows.  Une symphonie de poche, un opéra de trois actes réduit à trois minutes,  aussi importantes dans l’histoire de la musique qu’une sonate de Beethoven ou un aria de Mozart,« the most important piece in our catalog » dit Al Jardine, « and Brian's gonna sing it ».  
C'est Noël, deux mois avant, Santa Claus is coming to town.
Et le fantôme chante sa prière, accompagné du choeur des anges... Love and mercy. La musique est un rite sacré, une communion, une épiphanie; amour, compassion, gratitude, ferveur de part et d'autre de cet autel qu'est la scène. Le fantôme chante et le public écarquille les yeux s'attendant à voir la métempsycose s'opérer en direct. 
Ses musiciens le racontent: Brian ne regarde jamais ou presque les gens dans les yeux. Il regarde au-dessus, le sommet de votre tête, cherchant à apercevoir l'ange qui pourrait en sortir.
Le concert est fini, un miracle s'est accompli, Pet Sounds en direct. La messe est dite.

(Pour un compte-rendu et de belles photos du concert, c'est par ici: http://rockerparis.blogspot.fr/2016/10/brian-wilson-salle-pleyel-paris-30-oct.html ).

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