Brian Wilson, le fantôme des Sixties, Salle Pleyel.
Il ne s'agit pas ici de Brice de Nice, ni même de surf, mais d'un Garçon de plage nommé Brian Wilson qui réapparaît après des années dans le creux de la vague, tel un fantôme des sixties.
Dans l’histoire du Rock, Pet Sounds est un monument ; pour moi, depuis mes 13 ans, c’est le disque de Noël, que j’écoute religieusement, chaque année, au moment des fêtes. Il appartient à ma mémoire familiale, il fait partie de la famille. Sonnez hautbois, résonnez musettes, les chœurs angéliques, les cloches et les grelots… Les Bruits d'animaux c'est le traineau de Santa Claus qui passe au-dessus de chez moi.
Cela fait longtemps que je ne crois plus au Père Noël mais, dans mon inconscient, Brian Wilson a pris sa place et grâce à lui la magie opère toujours : chaque fois que j’écoute Pet Sounds, je retourne en enfance, je redeviens le môme assis au pied du sapin, rêvant des romances adolescentes tandis que tourne en boucle le disque le plus beau et le plus triste des Beach Boys.
Pet Sounds fête cette année ses 50 ans et Brian Wilson en compte 74 dont une bonne vingtaine d’années, celles qui ont suivi l’enregistrement de son chef d’œuvre, n’ont pas été faciles. Entre la drogue, les dépressions, les médicaments, la folie, Brian aurait pu y rester, comme Syd Barrett, Presley, Jackson, Prince… Mais il s’en est sorti et reste un des derniers vétérans de l’âge d’or des sixties.
Brian Wilson a vieilli, et je ne peux pas lui en vouloir.
Quand il monte sur la scène de la Salle Pleyel, sa démarche n’est pas très assurée, sa voix pas toujours, non plus, lorsqu’il chante avec un œil sur le prompteur, et ses mains restent souvent posées sur le clavier; parfois même on se demande s’il est vraiment là, s’il est vraiment conscient du monde qui l’entoure ou s’il ne va pas tout d’un coup se lever, s'enfuir ou faire un truc insensé. Il en a fait… Des crises de délire, paranoîa ou panique… Mais pas cette fois. Il reste assis à son piano, présent/absent, chante, annonce les morceaux, il fait le job mais sans s'attarder aux applaudissements, semblant même fuir les ovations lorsqu'il s'agit de quitter la scène entre deux sets, il laisse les musiciens qui l’accompagnent -dont un autre rescapé des Garçons de Plage- faire le show, à l’américaine, au cordeau.
Le soir du 30 Octobre, Salle Pleyel, Brian Wilson et son groupe jouent un best-of des Beach Boys, et c'est déjà très bien. Mais ils jouent ensuite Pet Sounds, et ça devient mystique.
Rappelons quand même qu'au départ les Beach Boys sont un groupe de rock n' roll, voire de doo-wop, qui chante à tue-tête des refrains basiques sur le surf et les jolies filles. Oui, mais ça c'était avant. Brian, resté seul pendant que ses copains étaient en tournée, compose Pet Sounds en 66 et même les Beatles ne s'en sont pas remis. A l'écoute du disque, ces Bruits d'animaux sont un joyau d'une pureté totale, mais de l'entendre et de le voir jouer en live, lui fait encore gagner en puissance et en lisibilité, la richesse, la cohérence et le luxe extrême de cette fabuleuse pièce montée apparait plus clairement. Chaque pièce, chansons comme instrumentaux, est un bijou et parmi toutes ces perles, une brille encore plus fort que les autres.
Les Beach Boys le savent, les spectateurs le savent, tout le monde le sait, le coeur palpitant du chef d'oeuvre est God only knows. Une symphonie de poche, un opéra de trois actes réduit à trois minutes, aussi importantes dans l’histoire de la musique qu’une sonate de Beethoven ou un aria de Mozart,« the most important piece in our catalog » dit Al Jardine, « and Brian's gonna sing it ».
C'est Noël, deux mois avant, Santa Claus is coming to town.
Et le fantôme chante sa prière, accompagné du choeur des anges... Love and mercy. La musique est un rite sacré, une communion, une épiphanie; amour, compassion, gratitude, ferveur de part et d'autre de cet autel qu'est la scène. Le fantôme chante et le public écarquille les yeux s'attendant à voir la métempsycose s'opérer en direct.
Ses musiciens le racontent: Brian ne regarde jamais ou presque les gens dans les yeux. Il regarde au-dessus, le sommet de votre tête, cherchant à apercevoir l'ange qui pourrait en sortir.
Le concert est fini, un miracle s'est accompli, Pet Sounds en direct. La messe est dite.
(Pour un compte-rendu et de belles photos du concert, c'est par ici: http://rockerparis.blogspot.fr/2016/10/brian-wilson-salle-pleyel-paris-30-oct.html ).