La folie par l'image
Autoportrait de Gustave Courbet, "Le désespéré"
D’où vient ce mystérieux pouvoir
qu’ont certaines images de nous subjuguer, de pénétrer notre subconscient et
d’y étendre leurs racines, de s’y installer si bien qu’elles en deviennent des
obsessions ? Peut-être parce qu’elles savent trouver en nous, au plus
profond de nous, la résonnance la plus intime et donc la plus grande.
Dans mon propre imagier fantôme,
les fous occupent une place importante. Certains sont des autoportraits
d’artistes reconnus, d’autres des portraits peints ou photographiques de fous
parfois sans autre identité que celle de leur démence (Monomanie, Epilepsie,
Mélancolie…). Mais, même anonymes, et depuis longtemps disparus, leur présence
captive le regard, tétanise la pensée et déclenche l’émotion. Parce qu’on lit
sur leurs figures la détresse, la souffrance, l’égarement, parce qu’elles nous
renvoient à nous-même et à un autre nous-mêmes, à cette terrible dissociation
du moi qu’est l’aliénation.
De même que certains artistes ont
pu trouver un exutoire, un réconfort ou une libération en se représentant dans
des moments de crise (on pense à Van Gogh, à Artaud, au cri de Munch, à
l’autoportrait que Courbet gardait auprès de lui), le premier souci des
aliénistes lorsqu’ils ont commencé à s’intéresser aux fous comme à des malades
susceptibles d’être soignés, a été de les dessiner ou de les photographier
pendant leurs crises pour établir une classification de leurs troubles et
tenter de rationnaliser l’irrationnel. Mais si dans le premier cas l’expression
artistique pouvait permettre à celui qui se peignait de se réapproprier son
image, dans le second cas cette volonté de représenter pour classer, exposer,
prouver a mené à une seconde aliénation.
C’est ainsi qu’a débuté une
période étrange durant laquelle l’histoire de la médecine mentale et celle de
l’image se sont rapprochées, et qu’on a vu les aliénés devenir les modèles de médecins
apprentis photographes ou de magnétiseurs prêts à faire d’eux les cobayes de
toutes les expérimentations de l’époque, du cinématographe à l’hypnose, parfois
dans de spectaculaires mises en scène.
Ces images sont captivantes, leur
histoire l’est tout autant.
A suivre, Géricault et ses portraits d’aliénés.