Loïe Fuller – La Fée électrique
Affiche de Georges Meunier, 1898
Loïe Fuller a connu récemment un
nouveau quart d'heure de gloire: pensez donc on lui a consacré un biopic! Un
scénario bien ficelé, deux actrices prometteuses et sulfureuses à souhait: que
demander de mieux?
Sauf qu'en parlant du film ou des
actrices on parle bien peu de Loïe Fuller et de l’incroyable artiste qu'elle
fut. Une artiste au succès phénoménal, tout simplement une des premières stars
internationales, femme de spectacle, de science et d’affaires.
Elle a fasciné tout le monde, de
ses débuts aux Folies Bergères en 1892 jusqu’à sa mort en 1928.
Les poètes comme Mallarmé qui
voyaient en elle un rêve art déco, un idéal symboliste incarné. Les artistes,
peintres et musiciens qu’elle inspirait ou les publicitaires qui utilisaient
l’image de cette créature unique et fantasmatique. Une hybride, tout à la fois humaine, végétale
et animale. La femme fleur, lys, papillon ou serpent qui réalisait sur scène
une synesthésie parfaite : la synthèse de la musique, des couleurs et du
mouvement.
« Dans une mer de ténèbres,
une forme grise, indécise, flottant ainsi qu’un fantôme et puis soudain dans un
jet de lumière une spectrale apparition. Femme ou fleur ? On ne sait.
Est-ce une danse, est-ce une projection de lumière, une évocation de quelque
spirite ? » s’interrogeait Jean Lorrain en la voyant.
Affiche de Pal (Jean de Paléologue)
« Fusion, sans arrêt, aux
véloces étoffes elles-mêmes se muant selon une agitation virtuelle : joignez la
fantasmagorie du reflet oxhydrique par nuances inouïes de crépuscule ou de
grotte, leur rapidité en l’échange de passion, sourire, deuil, colère, délice,
il faut pour les mouvoir, prismatiques ainsi simplement, avec violence ou
diluées, la furie diaprée d’une âme comme mise à l’air ici par un artifice »
notait Mallarmé en sa prose hermétique.
Son art était séance d'hypnose collective, fantasmagorie au plus pur sens du terme: « Projection dans l'obscurité de figures
lumineuses animées simulant des apparitions surnaturelles ». Un
rituel antique mais qui, avec Loie Fuller, est entré dans la modernité.
Loïe fréquentait les artistes, les
écrivains, peintres et sculpteurs de son temps mais elle avait aussi d'autres,
plus étranges, fréquentations. Si elle aimait la danse, la mise en scène et en
lumière de ses performances l’intéressait tout autant, en particulier les
effets lumineux qu’elle pouvait tirer de l’éclairage de ses voiles. Ses
recherches la conduisirent naturellement vers Thomas Edison qui l’invita à lui
rendre visite, en amie, dans son laboratoire. C’est ainsi qu’un jour de 1896,
découvrant avec émerveillement le prototype d’une boîte à rayons X, elle
réclame et obtient d’Edison les échantillons de sels phosphorescents avec
lesquels elle inventera la danse du même nom.
Succès colossal, la performance
plonge ses spectateurs dans un état quasi-extatique :
« She disappears and all is dark but something moves in the
darkness, it is tiny brilliant points that dance, it is a dance of lights
glittering like stars (…) it is a mystical dance »
écrit le critique Julius Meier Graefe. On n’a jamais vu ça, les plus récentes
découvertes scientifiques représentées sur la scène d’un théâtre.
Et Loïe Fuller y a pris goût, elle
ne s’arrêtera plus d’expérimenter. Installe chez elle son propre laboratoire, travaille
sur l’électricité, les rayons ultraviolets. Les découvertes des Curie la
passionnent et elle rencontre le couple pour les questionner sur l’emploi du
radium… Malheureusement, ou heureusement, la Danse au Radium ne vit jamais le
jour mais elle montre jusqu’où Loïe était prête à aller. Des années après qu’Edison
ait cessé d’expérimenter avec les sels fluorescents, ayant compris leur
dangerosité, elle s’obstinait à les utiliser, jusqu’à faire exploser son
laboratoire!
Si on lui avait donné une guitare électrique elle
aurait été Jimi Hendrix. On lui a donné la lumière et elle a mis la magie de
l’électricité sur les scènes de ballet comme Hendrix l’a donnée à entendre avec
sa guitare. L’un et l’autre firent à leur public le même effet d’électrochoc,
d’un spectacle inédit, bouleversant, comme l’Arrivée d’un train en gare de La
Ciotat, le film des frères Lumière, fit se lever de surprise et d’effroi les
premiers rangs.
En 1900, elle est l’une des attractions vedettes de
l’Exposition Universelle qui se tient à Paris, reconnue alors comme la Fée
électrique de cette grand’messe qui célèbre justement l’avènement de l’Electricité
« la religion de 1900 », dit Paul Morand, religion dont Fuller sera
la grande prêtresse puisque, continue Morand, « les femmes sont des fleurs
à ampoules, les fleurs à ampoule sont des femmes ».
Prêtresse mais aussi businesswoman avisé, Loïe
Fuller garde secrètes la préparation et l’exécution de ses rituels. Elle fait
réaliser ses éléments de costumes par des ateliers de couture différents et les
assemble elle-même, elle emploie ses propres techniciens-lumière (jusqu’à 30
pour un spectacle) et ne leur confie jamais aucune note écrite, les dirigeant
depuis le plateau, de la voix ou d’un claquement de talon. Elle met au point
des systèmes complexes de miroirs qui démultiplient son image sur scène, des
gélatines spéciales pour ses projecteurs ou des baguettes pour soutenir ses
voiles et fait breveter, comme un ingénieur, ses inventions.
Brevet déposé pour un costume de scène
Elle l’ignorait mais il est un titre dont elle aurait
pu réclamer la propriété, celui de pionnière de la danse moderne.
Le film de Stéphanie Di Giusto rappelle Loïe à
notre bon souvenir, tant mieux ! Mais franchement, les bobines d’époque
valent le détour.
On peut trouver, en tapant Danse serpentine,
plusieurs petits films de la fin du XIXème au début XXème, l’un d’eux colorié à
la main, à même la pellicule. Le premier film
colorié de l’histoire du cinéma, Annabelle Serpentine Dance,
produit par Edison en 1896, montre les évolutions de l’une des nombreuses imitatrices
de « La Loïe Fuller » (la vraie Loïe refusa
toujours -même à son ami Edison- de se laisser filmer)". Une danseuse
exécute des arabesques de ses longues manches prolongées en ailes de papillon
qui passent en quelques battements d’une couleur à une autre. Un truc à la
Méliès, simple et magique, c’est l’enfance du cinématographe et l’enfance du
septième art, toujours poétiquement efficace après un siècle d’effets spéciaux.